# 16 / 1 Après l’Ukraine, revivre ailleurs ©Olivier Roller
Photographies Olivier Roller, entretiens et montages Olivier Roller, réalisation Vartan Ohanian et Serge Challon
Olivier Roller est un citoyen français comme les autres ou presque. Une seule singularité: il est photographe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie à la fin du mois de février a provoqué un exil massif des populations. On parle aujourd’hui de plus de 6 millions de personnes exilées hors d’Ukraine ou déplacées à l’intérieur du pays. Olivier Roller a été touché par le drame auquel étaient confrontés ces hommes et ces femmes et a décidé de contacter une association qui, grâce à une application sur les réseaux, leur permet de trouver un hébergement, souvent d’urgence, en France.
Ancien photographe de presse, aujourd’hui portraitiste, Olivier Roller a vu entrer la guerre chez lui, dans son atelier, et se poser sur le canapé convertible qu’il mettait à la disposition de ces passants et de ces passantes. Ils et elles lui ont raconté le son des sirènes qui précèdent les bombardements puis ceux des explosions et les vibrations que l’on sent parcourir le sol, cachés dans les caves. Le froid, la peur, l’angoisse de savoir comment vont – chaque matin et chaque soir se repose la question – ceux qui sont restés là-bas, parents, grands-parents, frères, amis. Le doute d’être ici alors qu’on devrait être là-bas …
Comme ils vivaient dans son atelier, Olivier Roller a commencé à faire leurs portraits, en lumière naturelle, celle de Paris. Puis, au fil des échanges quotidiens, il leur a proposé d’enregistrer leurs voix, de conserver une trace de leurs parcours de vie, des émotions et des expériences indicibles, de la perte de sens soudaine des mots présent et avenir.
J’étais plus heureuse sous les bombes, en tenant la main de ceux que j’aime. Olesia
Je suis très, je suis très, je ne sais pas ce que je dois faire… J’aurais dû rejoindre l’armée. J’ai décidé de rester en Europe, mais d’y aider l’Ukraine. Anatolii
Raconter la guerre à 2300 kilomètres du champ de bataille est une autre façon de participer à sa compréhension. Olivier Roller a toujours rêvé de se rendre en Ukraine mais c’est l’Ukraine qui est entrée chez lui. C’est elle qu’il nous raconte, sans gilet pare-balles, sans casque, sans accréditation, sans risque pour son intégrité physique. Il dit que l’information doit être multiple et transverse, qu’il admire les photographes de guerre mais qu’il n’a ni le courage, ni le désir de les accompagner et qu’il se demande quel est l’impact véritable de la publication de leurs photographies sur l’évolution des conflits alors que notre monde est désormais envahi par les images « toutes plus silencieuses les unes que les autres ».
Il participe, à sa manière, à informer sur un conflit, à faire découvrir un pays et une culture qui font face à un drame qui se joue depuis quatre mois et raisonne encore dans son atelier, en nous proposant les photographies et les paroles d’hommes et de femmes, victimes.
Un film court et le podcast intégral de l’entretien que nous avons fait avec Olivier Roller sont en ligne : Images de guerre, extrait entretien 2 minutes et Podcast entretien, 34 minutes. Il nous parle de ses interrogations sur l’exil et de ces visages qui ressemblent plus à des figures de mode qu’à des réfugiés. Il raconte son espoir de voir l’élan de solidarité pour les ukrainiens se porter aussi enfin sur l’ensemble des réfugiés et exilés qui arrivent sur le territoire français, quelques soient leurs origines et les causes de leur exil.
Olivier Roller réfléchit à la fonction de la photographie dans le circuit de l’information et à l’impact du support et du lieu de diffusion des images sur leur appréhension par le public et nous explique son choix de présenter ce travail au Musée National Marc Chagall à Nice jusqu’à la fin de la guerre (ici).
Note de la rédaction: Nous avons choisi de ne pas montrer les portraits des hommes réalisés par Olivier Roller pour ne pas dévoiler leurs visages et leur identité puisque l’État ukrainien a promulgué, dès les premiers jours de guerre, une loi qui interdit aux hommes de 18 à 60 ans de quitter leur pays. L’histoire de la photographie, depuis la Semaine sanglante de la Commune de Paris en 1871 en passant, par exemple, par la longue et implacable traque des étudiants qui ont manifesté sur la Place Tian’anmen à Pékin en 1989, est marquée par les arrestations et les exécutions consécutives à la reconnaissance, plus ou moins juste par ailleurs, de personnes sur des images notamment publiées par la presse. La question se pose de manière encore plus importante aujourd’hui avec les publications en ligne et les logiciels de reconnaissance faciale. Olivier Roller nous parle de ces hommes et de leurs doutes dans le film court et le podcast cités plus haut ou à partir de notre page d’accueil (ICI)