Reportage# 10 / Ameer Al Halbi, Rencontre …

# 10 / Ameer Al Halbi, Rencontre …

La guerre en Ukraine est largement traitée par les grands médias et le travail et les témoignages des photographes sur place sont diffusés très largement sur les réseaux sociaux. Nous avons donc choisi de vous proposer une petite histoire: la rencontre entre un jeune photographe syrien exilé et une jeune adolescente ukrainienne de 16 ans qui vit ses premiers jours d’exil. Parfois les petites histoires disent tout de la grande.

La rédaction de Newsfromphotographers.com

J’ai vu Sasha rester assise au milieu de la gare centrale de Varsovie pendant des heures, sans parler ni bouger, au milieu des-va-et-vient permanents. Elle a quitté Kiev pour l’Allemagne le 2 mars avec son petit frère Dima et sa maman pour échapper aux bombardements de l’armée russe qui visaient sa ville.

J’avais son âge quand la guerre a commencé dans mon pays, en Syrie. C’était un besoin pour moi de passer un moment avec elle afin de l’accompagner dans son exil et d’être à ses côtés. Sasha est une jeune lycéenne qui a toujours souhaité travailler dans la conception de jeux vidéo « Ma fuite rapide et forcée de la guerre m’a contrainte à laisser mes dessins, mais aussi à quitter mon père qui est resté pour aider sa vieille maman qui ne peut pas partir »

Son voyage a duré 3 jours où elle a dû dormir avec son petit frère dans les gares, en emportant seulement un sac de vêtements pour se protéger du froid.

Malgré la situation extrêmement compliquée et préoccupante, elle garde son calme et reste assez positive, sensible et attentionnée… elle protège son petit frère comme s’il était son propre enfant.

Tuer des civils en faisant la guerre est un crime, forcer les gens à l’exil en est un autre. C’est juste le début de l’histoire de Sasha. Après les longs voyages, les marches, les trains, les heures d’attentes, les voilà arrivés à Berlin où elle va devoir s’adapter à une nouvelle langue, à un nouveau pays… Trouver un travail, s’intégrer, se refaire des amis, se sentir à l’abri, loin de son père. Toute une montagne d’épreuves et de combats que la guerre impose à leur vie.

Après avoir rencontré et passé un certain moment avec Sasha, une chose dont je suis sûr, c’est qu’elle atteindra son objectif.

Ameer, Al Halbi, frontière ukraino-polonaise, 6 mars 2022

« Il y a toujours une histoire derrière une image. Par exemple, cette femme qui était à la gare de Varsovie, qui a passé la nuit là-bas, à 22 heures, elle a commencé à pleurer, elle et son enfant, en même temps, on n’a jamais parlé ensemble, mais pendant 15 minutes elle nous a tout raconté sans rien dire, juste en pleurant, avec son fils, et on a compris ce qu’ils ont vécu là-bas et ce que ça veut dire d’être en exil… » 

« Quand je vois ces gens, j’ai l’impression que je vois leur avenir, parce que j’ai vécu l’exil, je sais très bien ce que ça veut dire ».

Ameer Al Halbi, est un jeune photographe de 26 ans. À la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, il fait une rencontre marquante. Sasha a 16 ans. Il avait le même âge lorsque commença la guerre en Syrie.

À Alep, il décida de prendre un appareil photo et de s’engager dans une carrière qu’il n’avait jamais envisagée. C’était sa façon à lui de participer au conflit: photographier et faire sortir ses images du pays pour dénoncer les actes barbares du gouvernement du Président Bachar el Assad et les conséquences des bombardements russes. La même armée se livre aujourd’hui aux mêmes actions en Ukraine.

Ameer Al Halbi sait que ses images servent à informer mais ne changent pas le cours des choses. « Mes photos vous touchent, mais elles ne toucheront jamais Poutine « .

La journée passée avec Sasha, accompagnée de son petit frère et de sa mère, fut celle de la rencontre de deux exilés. L’une attend de découvrir ce que sera sa vie désormais. L’autre sait ce de quoi elle sera faite, il connait le monde étrange dans lequel elle devra désormais vivre.

Ameer n’est pas son véritable prénom. Il envoyait ses images à l’AFP avec ce pseudonyme, par sécurité. « Être photographe est plus dangereux qu’être militaire dans ce genre de conflit, je ne dormais pas souvent chez moi« . Ce prénom est celui d’un ami, mort pendant une manifestation à Alep.

Il vit en France depuis 5 ans, pays dont il parle désormais la langue et auquel il a du s’adapter, avec un prénom, auquel il doit aussi encore aujourd’hui s’adapter. Sa mère est venue en France avec lui, sa soeur vit à Ankara en Turquie. Son père, casque blanc (les hommes et les femmes qui s’occupent des victimes) est mort à Alep lors d’un bombardement.

Cette rencontre, entre un photographe et son double, nous est apparue comme la meilleure manière de parler de l’exode massif provoqué par ce conflit entre l’Ukraine et la Russie, et intégrer, ce que nous n’avions pas imaginé lors de la première publication du travail d’Anthony Jean, notre série sur « Les Naufragés de l’Exil ». L’Organisation des Nations Unies parle de 5 millions de personnes parties à l’étranger et de 6,5 millions de déplacés à l’intérieur du pays (chiffres mis à jour le 20 avril).

Aujourd’hui nous découvrons que les personnes migrantes ne provoquent pas la même attention. Le statut d’être humain ne suffit pas à déclencher l’empathie et la solidarité. Aux frontières polonaises des hommes et des femmes de couleur, désormais migrants de leur pays d’accueil, sont bloqués du côté ukrainiens. Les polonais n’en veulent pas. En France, à Calais, les réfugiés ukrainiens sont pris en charge avec enthousiasme par la mairie, pendant que ceux qui viennent d’Afrique, de Syrie ou d’Irak, continuent de croupir dans des abris de fortune. Ceux qui leur viennent en aide, en distribuant eau et nourriture, subissent toujours les amendes et le harcèlement des forces de police. Thalis propose d’offrir des billets gratuits pour Londres aux uns. Les autres vont continuer de tenter le pire sur des canots pneumatiques ou dans les remorques des camions. Dans les rues des grandes villes de France et d’Europe, des milliers de personnes manifestent pour s’opposer à cette guerre, et cela est tout à leur honneur, mais ils ne se mobilisent toujours pas pour faire cesser les morts par noyade et les accords cyniques passés avec la Libye et la Turquie pour garder « nos » frontières. Pas de manifestations spectaculaires en mémoire des 50 000 personnes noyées en Méditerranée.

Tous les hommes ne se valent donc pas. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont notre pays se prétend l’âme fondatrice, a du plomb dans l’aile. L’exil n’est pas toujours un choix. Les hommes et les femmes ukrainiennes contraints de fuir leur pays en guerre nous en apportent la preuve, si besoin était…

Serge Challon, directeur éditorial

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Sed ut perspiciatis unde omnis das ist wirklich iste natus.