Reportage#2 / Guerre et Mémoire, Arsakh (Haut-Karabagh)

#2 / Guerre et Mémoire, Arsakh (Haut-Karabagh)

Paroles et photographies © Antoine Agoudjian. Réalisation Vartan Ohanian et Serge Challon. Textes de Serge Challon et de Simon Abkarian, comédien.

Même s’il ne se considère pas comme un journaliste et encore moins comme un photographe de presse « aguerri et dédié à parcourir le monde de conflits en conflits », sa quête le confronte depuis 2015 aux guerres qui se succèdent dans cette région du Moyen Orient.

Dans notre entretien, Antoine Agoudjian présente sa recherche mémorielle et nous livre un témoignage de sa présence en Artsakh (nom originel du Haut-Karabagh), territoire arménien enclavé, depuis le début des hostilités jusqu’à la signature du cessez-le-feu le 9 novembre 2020 sous les auspices de la Russie et de Vladimir Poutine.

Cette guerre éclair, qui dura quarante quatre  jours, entraina la mort de nombreux militaires et civils (les chiffres se situent entre 7 et 10 000 morts). Les organisations de défense des droits humains comme Amnesty International dénoncent aujourd’hui « l’usage inconsidéré par les forces arméniennes et azerbaïdjanaises d’armes explosives imprécises à large rayon d’impact dans des régions à forte densité de populations civiles provoquant la mort de nombreux civils et la destruction des habitations et des infrastructures ». L’Azerbaïdjan est accusé par ailleurs d’avoir utilisé des armes chimiques.

De nombreuses questions se posent aujourd’hui sur le futur statut des arméniens du Haut-Karabakh, désormais sous « protection » de l’armée Russe, qui ont dû quitter leurs villages et fuir de l’autre côté de la nouvelle ligne de démarcation qui délimite les territoires désormais acquis par l’Azerbaïdjan.

Attribué à l’Azerbaïdjan en 1920 par Staline, puis, après l’effondrement de l’ex-URSS et l’indépendance des deux pays en 1991, déclaré « république indépendante » à l’issue d’un conflit qui provoqua 30 000 morts entre 1988 et 1994, l’Artsakh est considéré par les arméniens comme un des lieux fondateurs de leur histoire, notamment à travers la présence de nombreux sites religieux catholiques (monastères, églises) dont certains sont désormais à nouveau sur territoire Azerbaïdjanais.

Aujourd’hui, l’avenir politique de l’Arménie est incertain. 

Serge Challon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 novembre 2020. Quelques jours après la signature du cessez-le-feu les Arméniens du Haut-Karabagh fuient la région en voiture après avoir brulé leurs maisons.

 

L »exposition Arméniens, un peuple en danger, d’Antoine Agoudjian a été présentée au Festival Visa pour l’Image à Perpignan 2021 où lui a été remis le Visa d’or humanitaire du Comité International de la Croix-Rouge (CICR)

Quelques mots de Simon Abkarian, comédien et dramaturge

II y avait dans le Caucase du XVIIe siècle, un troubadour dénommé Sayat Nova, « Le maitre du chant », ou littéralement le « chasseur de son ». Il s’accompagnait d’un kemantcheh (vielle persane) et chantait dans sa langue maternelle, l’arménien. Mais il écrivait aussi en turc, en géorgien et en persan. Parfois même dans un seul et même poème s’entremêlaient deux langues qui chantaient l’impossible quête amoureuse. Antoine Agoudjian est un Sayat Nova, à sa manière. Voilà plus de trente ans qu’il s’est lancé sur les traces de ce qu’il reste des Arméniens. Son terrain de « chasse » ce n’est pas seulement l’Asie Mineure ou le Moyen Orient. Sa quête est au-delà d’une géographie tangible, au-delà d’une obsession mémorielle. Elle va plus loin que les frontières tracées au couteau dans la chair des peuples. Sa traque s’étend à d’autres territoires plus obscurs, impossibles à cartographier : les ténèbres.

C’est de ce néant amnésique et aveugle qu’il capture la lumière. Celle qui fleurit sous les ailes d’une colombe funambule. Celle qui étouffe sous les crimes les plus abjects commis à l’encontre de la population humaine. Celle qui sculpte le courage sur les visages d’enfants déjà vieux. Celle qui atteste que les Arméniens… sont leurs montagnes. Celle qui hurle comme une âme que l’on arrache à sa jeunesse. Celle qui chante l’espoir dans les tranchées qui saignent. Celle d’un enfant qui vient au monde dans la guerre. Celle qui défie les armes d’une coalition mortifère. Celle qui continue de courir quand s’essouffle l’oubli. Celle qui parle d’une voix claire quand le mensonge est à court d’arguments. Celle qui surmonte les génocides et les exils forcés. Celle qui tend un miroir à ceux qui célèbrent le pire. Celle qui éclaire les crimes planifiés depuis le 24 avril 1915 jusqu’à nos tristes jours. Celle qui danse le Sassoun et l’Artsakh millénaire. Celle qui démasque les loups qui font mine de lever le calice de la démocratie. Mais comme dit le proverbe « Tu peux te teindre les cheveux mais que feras-tu de ta figure ? » Les génocidaires savent que nous savons. Ils savent que nous connaissons leurs vrais visages. Ils savent que nous sommes les gardiens indomptés de notre arche déchue. Les photos d’Antoine parlent toutes les langues et racontent à qui veut l’entendre, l’histoire des peuples qui ne demandent qu’à vivre sur les terres de leurs ancêtres.

le cri du silence

Éditions Flammarion

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