Reportage# 20 / Harraga, brûleurs de frontière. ©Paloma Laudet

# 20 / Harraga, brûleurs de frontière. ©Paloma Laudet

Paroles et photographies: Paloma Laudet, collectif Hors-Format/ Item. Réalisation du film court Vartan Ohanian et Serge Challon

Entretien avec Paloma Laudet

Bonjour Paloma, est-ce que vous pouvez nous dire quel était votre projet en vous rendant à Ceuta ?

Ceuta est la seule frontière terrestre entre le continent africain et l’Europe. J’y suis allé pour continuer un travail plus global sur les frontières de l’Europe. J’avais déjà pas mal travaillé à Calais et sur les dispositifs anti-migrants qui sont mis en place. Au début, j’avais vraiment l’idée de parler du mur qui fait 7,8 km de long et parfois 8 à 16 mètres de haut et de tout cet argent qui est dépensé par l’Union européenne pour construire tous ces dispositifs anti-franchissement.

Une fois sur place, j’ai voulu rencontrer ces jeunes mineurs qui tentent chaque jour de franchir ce mur et d’atteindre le port. L’UNICEF estime que 3 à 500 mineurs vivent dans cette enclave de 20 kilomètres carrés. J’ai vécu au Maroc pendant quelques années, donc je parle un petit peu darija, le dialecte marocain. Ça m’a beaucoup aidé pour pouvoir expliquer ce que je voulais faire avec eux. Ils m’ont tout de suite accueillie et ils ont accepté que je les photographie et que je passe du temps avec eux. Il y avait plusieurs petits groupes qui s’entremêlaient parfois mais j’ai quand même pu rester le plus souvent avec un petit groupe de 4-5 et les suivre toute la journée : où ils allaient, quand et où ils dormaient, quand ils allaient mendier devant le supermarché, quand ils essayaient de passer dans le port. Certains étaient là depuis plus de trois mois déjà. J’ai passé pas mal de temps avec eux et c’était assez fort.

Monsif (à gauche) originaire de M’diq s’est blessé en essayant de rentrer dans le port de Ceuta. Il a eu 7 point de sutures. 

Ces jeunes garçons sont marocains, comment sont-ils arrivés à Ceuta ?

Avant le Covid, la frontière entre le Maroc et Ceuta était ouverte, il y avait un point de passage et les personnes qui habitaient dans le nord du Maroc avaient le droit de venir à Ceuta. Il y avait donc beaucoup de commerce entre l’enclave espagnole et le nord du Maroc. Avec le Covid, le point de frontière a été fermé. Il y avait aussi des soucis politiques entre le Maroc et l’Espagne à cause du conflit sur le Sahara Occidental qui continue de polluer les relations entre ces deux pays. Avec la fermeture de la frontière, de nombreuses familles du Nord qui venaient à Ceuta tous les jours pour travailler, ou pour vendre des choses, se sont retrouvées sans revenus et dans des situations très précaires. C’est aussi pour ça que ces jeunes ont décidé de venir à Ceuta et tenter de rejoindre l’Europe. Beaucoup d’entre eux m’ont dit qu’ils sont partis sur un coup de tête du jour au lendemain lorsqu’ils ont entendu dire qu’il y avait soudain une possibilité de rentrer dans l’enclave et que les gardes-frontières marocains ouvraient les portes. Là c’était pour sanctionner l’Espagne, qui avait accepté de soigner le président du Sahara Occidental, en lui imposant un afflux soudain de migrants. Ils sont donc venus sans nécessairement prévenir leurs familles. Certains n’ont pas de parents, d’autres ont réussi à les contacter pour leur dire qu’ils étaient là et qu’ils étaient bien arrivés.

 Les jambes de Zackarya 15 ans, blessé par les barbelés du port.

Comment s’en sortent-ils au quotidien ?

Ils vivent une situation qui est extrêmement difficile. Ils vivent dans la rue. À Ceuta à ce moment-là, il y a très peu d’aide humanitaire. Une mosquée distribue un repas une fois par jour mais c’est tout. On est vraiment face à des jeunes qui ont faim. C’est difficile de trouver comment se nourrir et donc ils mendient devant des supermarchés. Il y a des gens qui donnent un petit peu à manger mais c’est quand même très difficile et, en même temps, c’est un groupe de jeunes potes de 15 ans qui sont tout le temps ensemble et ça reste des enfants, ils se marrent, ils vont tout le temps nager, ils se chamaillent. C’était quelque chose que je voulais aussi montrer, ce sont des enfants et ils s’amusent, ils déconnent, comme tous les enfants du monde !

Zackaria 15 ans et Omar 17 ans. Parfois la nuit ils se font racketter par d’autres groupes plus âgés, munis de machettes ou d’armes à feux.

Est-ce que vous avez gardé des contacts avec eux ?

Ceux du petit groupe que j’ai suivi et avec qui j’ai gardé des contacts, notamment par Facebook, ont tous réussi à passer en Espagne. Certains ont pu embarquer sur un ferry sans que personne ne les voit. D’autres ont reçu l’aide de leur famille pour payer un passeur qui les a emmenés en Zodiac. Ce sont des passages qui coûtent extrêmement cher : à peu près 5 000 euros le passage alors que Ceuta est à 14 km à peine de l’Espagne!

Et là-bas que sont-ils devenus ?

La plupart des jeunes du groupe ont été pris en charge en arrivant en Espagne, soit dans des familles d’accueil, soit dans des centres d’hébergement. Ils peuvent aller à l’école et se forment, ça va quand même beaucoup mieux pour eux.

Omar, orphelin de 17 ans est arrivé à Ceuta à la nage en mai dernier. Originaire de la ville de Martil dans le nord du Maroc, avant de venir dans l’enclave, il vendait des légumes dans un marché, il n’a pas été à l’école. Ceuta, le 14 août 2021.

Est-ce que vous avez tenté de rencontrer leurs familles ensuite ?

Je leur avais parfois prêté mon téléphone pour qu’ils appellent leurs familles, du coup j’avais leurs numéros, et, avec leur autorisation, j’ai pu les contacter ensuite. J’ai organisé un voyage au Maroc pour les rencontrer et mieux connaitre leur situation mais les relations étaient très tendues à ce moment-là entre le Maroc et la France et le gouvernement marocain ne m’a pas laissé travailler, j’étais suivie dans la rue tout le temps.

J’ai pu rencontrer deux familles mais j’ai dû arrêter le reportage parce que ça pouvait être trop dangereux pour eux et pour les personnes qui m’aidaient. Je ne voulais pas les mettre dans une situation compliquée face au gouvernement. Voilà, c’est ça la liberté de la presse au Maroc.

Extrait de l’entretien réalisé par Serge Challon, mars 2023.

Le reportage de Paloma Laudet a été réalisé à Ceuta en août 2021.

Paloma Laudet, photographe franco-suisse née en 1999, est membre des collectifs Hors-Format, dont elle est co-fondatrice, et Item. Elle a reçu pour ce reportage le Prix d’encouragement du Photojournalisme 2022 décerné par magazine suisse Sept.info.

« Pour elle, la photographie est un moyen de témoigner des questions sociales, environnementales et humaines que traverse notre société, pour ne jamais laisser s’installer l’indifférence. » (extrait de sa biographie sur le site du collectif ITEM).  D’autres informations sur Paloma Laudet sur le site du collectif Hors-Format

À Ceuta, 7,8 kilomètres de clôtures barbelées séparent l’Afrique de l’Europe. 

 

 

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