Reportage# 12 / Pour quelques Pom’Potes … © Louis Witter

# 12 / Pour quelques Pom’Potes … © Louis Witter

Calais était une ville communiste jusque dans les années 2000 puis elle est passée dans le giron des Républicains. Natacha Bouchart, pourtant maire LR, a soutenu Emmanuel Macron pendant cette dernière campagne électorale aux dépens de Valérie Pécresse. Très proche de Gérald Darmanin, ancien maire de Tourcoing, elle a expliqué vouloir « continuer à travailler avec ce gouvernement face à la difficulté de la gestion migratoire ». Calais est la cinquième ville la plus pauvre de France. Au second tour des élections présidentielles du 24 avril 2022, les calaisiens ont voté à plus de 66 % pour Marine Le Pen qui a obtenu, par ailleurs,  57,5% des suffrages au niveau du département du Pas-de-Calais.

Paroles et Photographies ©Louis Witter, entretien Serge Challon, réalisation et montage Vartan Ohanian et Serge Challon

Entretien avec le photographe et journaliste Louis Witter.

Pourquoi vous êtes-vous installé à Calais ?

Je suis rentré du Maroc, où j’étais correspondant de plusieurs journaux, à cause de la pandémie. J’étais déjà venu ici régulièrement depuis 2016 et la destruction de la « jungle », qui était le plus grand bidonville d’Europe (parfois jusqu’à plus de 10 000 personnes, ndlr). Pouvoir côtoyer quotidiennement ces personnes et ceux qui leur viennent en aide, Calaisiens ou pas, était un projet intéressant. De plus, je suis soutenu dans ce projet par la rédaction des Actualités Sociales Hebdomadaires qui m’a proposé à ce moment-là de chroniquer chaque semaine ce qui se passe sur cette frontière franco-britannique.

Quelles sont les relations entre les calaisiens et ces personnes exilées ?

La relation des personnes exilées et des calaisiens est complexe parce qu’elle dure en fait depuis des décennies. Ça va faire plus de 25 ans que cette frontière est un territoire où beaucoup de personnes sont en transit dans l’espoir d’aller au Royaume-Uni. Aujourd’hui, la majorité des calaisiens est dépassée par ces événements et par les promesses politiques qui se sont succédé, les présidents qui se sont succédé, les ministres de l’intérieur qui se sont succédé, sans qu’ils n’apportent de véritables solutions.

Le durcissement politique provoqué par la situation est très clair. Au second tour des élections présidentielles du 24 avril 2022, les calaisiens ont voté à plus de 66 % pour Marine Le Pen. 

Pourtant, dans cette population, il y a une frange qui reste fidèle à une tradition française d’humanité et d’accueil et qui s’engage vraiment au quotidien pour porter assistance à ces personnes en difficulté, même si une grande partie des bénévoles qui sont présents à Calais viennent d’autres villes. Ce sont surtout des jeunes. Ils se remontent les manches et travaillent au quotidien pour que la vie des personnes exilées soit un peu moins rude.

Depuis 2016, après l’expulsion de  la « jungle », la politique clairement assumée est le refus de tout point de fixation, ça veut dire : pas de campements en dur, pas de petites constructions et même pas de tentes (elles sont détruites et jetées ensuite dans les bennes à ordure par la police, ndlr).

La conséquence de cette décision, c’est un harcèlement quotidien de ces personnes-là et de ceux qui leur apportent de l’aide. Il s’agit aussi de décourager ceux qui voudraient venir ici. Parallèlement à ça, depuis 2020, un arrêté préfectoral, reconduit chaque mois, interdit les distributions de nourriture et d’eau dans une trentaine de rues de la ville de Calais. 

Est-ce parce que l’État prétend prendre en charge lui-même l’assistance aux personnes exilées ?

Calais est la seule ville de France où l’État lui-même distribue à manger aux personnes exilées, ailleurs ce sont des associations qui s’en chargent. Ici, il a mandaté une seule association, qui s’appelle La vie active, pour distribuer chaque jour de l’eau et des repas. Ils ont ouvert quelques points d’eau et quelques douches dans la ville, mais il s’avère que ce sont des points souvent éloignés des lieux de vie des personnes et des campements. L’État peut parfois revendiquer le fait de distribuer 600 repas par jour alors que les associations estiment le nombre de personnes à 1500, donc même si l’État apporte une aide, elle reste minime par rapport aux besoins réels sur le terrain. 

Cet arrêté préfectoral d’interdiction de distributions gratuites entraine des amendes. C’est à dire que s’il y a de la nourriture dans ton coffre ou si tu es vu en train d’en distribuer, tu prends 135 euros d’amende. Ce sont aussi des petits coups de pression avec les contrôles de véhicules pour vérifier s’ils sont bien garés, s’ils n’ont pas un pare-chocs un petit peu enfoncé etc. et c’est encore 135 euros d’amende. Il y a un détournement un peu continuel de la loi là-bas pour arriver à décourager les gens de venir aider.

Cet arrêté préfectoral a été justifié en septembre 2020 par la crise sanitaire pour éviter les grosses distributions favorables à la diffusion du virus. Actuellement, alors que toutes les restrictions sanitaires sont levées dans le pays, la préfecture maintient néanmoins son application.

Les associations ont déjà attaqué ces arrêtés au Tribunal administratif de Lille, puis au Conseil d’État, mais à chaque fois leurs demandes ont été rejetées.

Existe-t-il de grandes différences de traitement des personnes suivant les lieux d’intervention de la police? 

Entre Grande-Synthe et Calais les politiques des deux départements sont assez différentes. À Grande-Synthe, lors des expulsions, il y a toujours une proposition de mise à l’abri, les gens sont amenés dans des centres d’accueil et d’examen des situations, alors qu’à Calais, les expulsions, qui ont lieu toutes les 48 heures, ne sont jamais suivies de propositions de mise à l’abri.

Ces personnes s’agglutinent dans les dunes, mais est-ce que leur rêve de traverser la Manche se réalise vraiment pour beaucoup d’entre eux ?

Il y a beaucoup de traversées qui marchent. Alors qu’en 2020 8 000 personnes étaient passées par la mer jusqu’au Royaume-Uni, on est arrivé en 2021 à plus de 28 000 !  C’est un chiffre exceptionnel!  À la fin de l’été et au début de l’automne c’était parfois des 600/700 personnes qui arrivaient à traverser chaque jour par les 33 km du Channel. Les passeurs organisent de nombreux départs aux mêmes moments et sur les 120 km de côtes de littoral le dispositif policier qui est en place se retrouve vite dépassé.

Les tentatives pour rallier le Royaume-Uni se font-elles toujours aussi par les camions?

Oui, toujours! En fait, ici, en plus de la traversée par la mer, il y a une autre  zone très dangereuse: c’est le parking des camions en transit. Toutes les nuits et tous les jours, beaucoup de personnes tentent de grimper dedans, souvent au péril de leur vie parce que les conducteurs font tout pour les faire tomber. Ces drames seraient évitables s’il y avait des voies légales de passage vers le Royaume-Uni. Les gens prennent tous les risques pour passer et, dans cette zone, il y a beaucoup de décès et ces dernières semaines j’ai l’impression que ça ne s’arrête pas.

Est-ce que vous pouvez nous parler de cette image?

Elle a été prise le 24 novembre 2021, le jour du naufrage de 27 personnes qui sont mortes au large de Calais. Ce jour-là, la météo était très favorable donc il y a eu beaucoup de tentatives de passage. J’ai rencontré des personnes à la gare de Boulogne-sur-Mer qui attendaient le train. Elles étaient ressorties de l’eau parce que leur bateau avait eu une panne de moteur. Elles étaient trempées, vraiment trempées des pieds à la tête. En novembre l’eau de la Manche n’est pas des plus chaudes. L’homme que l’on voit sur cette photo porte encore son gilet de sauvetage. L’associatif d’Utopia 56 qui était présent avec sa camionnette a voulu leur distribuer des Pom‘Potes et des chaussettes sèches. Il a été chassé par la police. À Boulogne-sur-Mer, il n’y a pas d’arrêté préfectoral interdisant de venir en aide à ces personnes, mais les policiers avaient quand même reçu l’ordre de l’évincer et d’empêcher sa distribution. Il ne s’agissait pourtant que de Pom’Potes sucrées et de chaussettes sèches pour des gens qui étaient complètement trempés, transis de froid et choqués par ce qui venait leur arriver le matin même.

Avez-vous l’impression que ce sujet est bien traité et suivi par les grands médias?

On voit souvent les collègues venir à Calais pendant plusieurs jours. C’est vrai qu’il y a toujours ce focus de la presse nationale sur un territoire dès qu’il y a un événement important qui s’y passe, moi ce qui m’apparait de plus impressionnant, c’est le côté routinier de cette violence et de cette misère. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas chaque jour un bateau qui fait naufrage avec 27 personnes à son bord que la situation n’est pas exceptionnelle, et que la France n’est pas indigne de ce qu’elle devrait être.

Est-ce que l’on connait le nombre de décès, ici, lors de ces dernières années ?

En 2021, il y a eu très précisément 36 morts à la frontière franco-britannique et le chiffre s’élève à 349 depuis1999.

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