Reportage# 7. 1 / Un pays sans sommeil. République centrafricaine.

# 7. 1 / Un pays sans sommeil. République centrafricaine.

Paroles et photographies d’Adrienne Surprenant, membre du  Collectif MYOP. Réalisation du film court Vartan Ohanian et Serge Challon

Parcours de vies recueillies par Adrienne Surprenant, photographe et journaliste canadienne, dans le cadre de son travail sur le traitement des traumatismes psychologiques en République Centrafricaine.

Rosa …

C’est une image d’une personne que je vais appeler Rosa mais qui doit rester anonyme parce qu’elle peut se sentir en danger si on révélait son identité. Rosa est assise devant des étagères où il y a tous les dossiers du département psychiatrique qui est situé dans un des hôpitaux de Bangui.

Quand je la rencontre, elle vient pour une consultation avec le docteur Kette. Ce n’est pas sa première consultation, elle est déjà médicamentée mais elle continue à avoir des problèmes. Elle et sa fille continuent à avoir des problèmes. Parfois elle sort comme une folle dans la rue et les voisins la prennent pour une sorcière. Elle est stigmatisée parce qu’elle a des réactions complètement hors de contrôle. Son village a été attaqué et son mari a été tué. Pendant la fuite, ils étaient avec plusieurs autres personnes. Sa petite fille a reçu une balle à la tête qui ne l’a pas tuée mais elle pensait qu’elle était morte; en tout cas elle voulait penser qu’elle était morte parce qu’elle se rappelle courir avec la fillette dans les bras et se dire : « c’est un poids, je n’y arriverais jamais ! » donc elle l’a abandonnée sur le bord d’un petit ruisseau. Un des messieurs qui courait avec elle lui a dit : « non, elle est encore en vie! ». Il a pris sa fille et la lui a remise dans les bras. Elle se rappelle avec une énorme culpabilité avoir détesté devoir continuer à porter son enfant parce qu’elle était en train de courir pour sa vie et elle ne pensait pas y arriver. Après plusieurs heures de course, ils ont réussi à semer les gens qui les poursuivaient et un petit groupe s’est retrouvé dans un champ de manioc. Ils ont eu un énorme débat pour décider s’il fallait manger les maniocs crus ou les faire cuire.  Elle était d’avis qu’il ne fallait pas les faire cuire parce que n’importe quel petit feu les rendrait repérables. Finalement c’est le reste du groupe qui a gagné. Ils ont cuit les maniocs et ils se sont fait repérer. Des hommes en armes sont arrivés. Ils ont séparé les hommes des femmes, et les hommes ça inclut les jeunes garçons donc aussi le fils de Rosa qu’elle avait essayé de dissimuler en la faisant passer pour une fille. Elle se rappelle que la dernière chose que son fils lui a demandé c’est : « Maman, est ce que je vais mourir ?  » et elle lui avait dit  » non! non ! » mais quelques minutes plus tard il avait été tué. Ensuite les hommes armés ont coupé les têtes des jeunes garçons et ont forcé Rosa à allaiter la tête de son fils. Ensuite ils ont violé toutes les femmes présentes. Ils ont enfoncé des choses dans son corps. Elle a perdu connaissance et s’est réveillée sans vraiment savoir comment elle avait été retrouvée et apportée dans un hôpital. Elle a eu besoin de plusieurs opérations pour se reconstruire après ce viol collectif. Elle souffre d’énormes séquelles psychologiques. Sa petite fille a vécu et vu tout ça aussi. Maintenant elles sont mises à l’écart: plus de famille, plus de réseau, de supports. Elles n’ont que ce psychiatre qui leur donne des médicaments mais qui ne peut pas faire un véritable suivi comme on le fait chez nous. Elle est un peu laissée à elle-même face a un traumatisme énorme mais en même temps elle dit que si elle n’avait pas déjà ce traitement à l’hôpital elle ne sait pas ce qu’elle serait devenue, elle aurait pensé à tuer sa petite fille d’abord et s’enlever la vie ensuite pour alléger les souffrances. Ce traitement, même s’il est insuffisant, est déjà énorme et mieux que rien.

C’est une entrevue qui est pour moi dure à raconter, qui est dure à écrire et qui reste une des histoires les plus tristes que j’ai pu collecter au cours de ces années.

Une vaccination contre les balles …

Pendant le conflit en 2013/2014, certains groupes antibalaka faisaient ce qu’ils appelaient des vaccins. Cela se déroulait pendant des sortes de cérémonies animistes, les hommes prenaient des boissons et se faisaient des scarifications sur les bras et sur le  corps qui étaient sensées les protéger des balles. J’ai rencontré certaines personnes qui ont été et qui sont toujours membres des milices antibalaka et notamment un jeune homme qui était enfant soldat et qui racontait qu’il n’arrivait plus à se débarrasser de l’animal qu’on lui avait donné au moment de la vaccination. Pour lui donner ce sentiment de toute puissance il a été associé à un animal qui ressortait de lui quand il devait aller au combat. Ce jeune homme n’a pas fait l’armée, il n’était pas encadré et s’est retrouvé face à un niveau de violence qui dépasse la compréhension, qui dépasse ce qu’un humain peut assimiler. Aujourd’hui, face à de toutes petites contrariétés, comme  par exemple quelqu’un au marché qui ne lui donne pas le bon prix,  il va devenir enragé, il aura envie de tuer la personne. Il associe cette rage incontrôlée, qui peut être la conséquence d’un traumatisme, à cet animal qu’on lui avait donné dans la vaccination. Il m’expliquait que son but dans la vie était désormais d’avoir assez d’argent pour retourner voir la personne qui l’a vacciné et lui demander de le libérer de cet animal pour qu’il puisse avoir une vie normale, sans avoir ces poussées de violence et de rage contre les gens. Aujourd’hui il trouve du soutien dans un groupe de capoeira qui a été monté par quelques anciens réfugiés au Congo qui tentent d’aider les jeunes à se libérer de leur violence en leur enseignant cet art martial.

Dans les prisons …

C’était important pour moi de pouvoir documenter à la fois les personnes qui ont commis les actes de violence ignobles et les gens qui les ont subis. Je voulais avoir accès aux prisons pour parler à des gens qui étaient membres de groupes armés et qui ont été arrêtés à cause des exactions qu’ils ont commises.

J’ai des portraits dans les prisons mais je n’avais pas le droit qu’on voit vraiment le lieu. Sauf celle des femmes où j’ai pu montrer le dortoir mais il faut dire que la prison des femmes est beaucoup moins haute sécurité. La plupart des femmes qui sont là sont emprisonnées pour sorcellerie donc elles sont relativement plus en sécurité que dans leurs villages où elles peuvent se faire brûler, lapider ou autres. En fait, la porte n’est même pas fermée à clé. Les femmes vont au marché acheter des beignets et reviennent après.

Dans la prison de sécurité, j’ai pu parler à des hommes dont je connaissais déjà les histoires et ce qu’ils avaient fait dans certaines villes de Centrafrique mais il y avait toujours quelqu’un qui nous écoutait de l’autre côté de la porte. J’ai dû me battre pour avoir le droit de faire des portraits anonymes et je n’ai pas eu accès aux endroits où ils logeaient, sachant que cette prison est surpeuplée. Les conditions de vie sont ignobles. Les gens sont complètement les uns sur les autres et ça je n’ai pas pu le montrer.

Des fleurs, des feuilles et des cailloux …

L’ONG Action contre la faim utilise une « ligne de vie » comme outil de guérison de la santé mentale dans un camp de déplacés peuls à Alindao.

Les participants sont invités à raconter leurs parcours de vie en posant à terre, sur un fil, des fleurs pour représenter les moments heureux et des pierres plus ou moins grosses pour marquer les événements difficiles.

C’était magnifique de voir que, pour certains, le moment le plus difficile n’était pas nécessairement ce qu’ils avaient vécu pendant le conflit. Ils voyaient aussi que même pendant cette période, il y avait eu des événements positifs: des naissances, des mariages…

C’était une belle manière, dans une société très orale, de raconter tous ces événements avec un peu de détachement.

 

 

EXPOSITION / Adrienne Surprenant présente l’exposition Un pays sans sommeil du 22 janvier au 21 février 2022.

Mains d’Oeuvres, 1 rue Charles Garnier 93400 Saint-Ouen.
Avec le soutien de la SCAM pour la production du reportage et d’Action contre la Faim pour l’exposition.

Vernissage le 22 janvier à partir de 17 heures lors de l’événement Centrafrique : Scandale et coulisses (Événement artistique pluridisciplinaire questionnant l’histoire de la colonisation française et des enjeux contemporains).

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